INTERPRETATION NOUVELLE DE
L'ARTICULATION INTER-SOMATIQUE VERTEBRALE
a cHEVROT
rADIOLOGIE b, HOPITAL COCHIN
AP/HP UNIVERSTE PARIS V
Ce texte propose une nouvelle interprétation à l'anatomie de l'articulation intervertébrale : "le disque intervertébral est une véritable articulation avec des extrêmités osseuses en présence, une capsule, des ligaments, une cavité articulaire. " Elle répond de façon habituelle aux différentes agressions en particulier aux agressions traumatiques. Cette conception arrive en réponse aux nouvelles constatations embryologiques, anatomiques, magnétiques (par l'IRM), discographiques et clinico-radiologiques.
Ainsi cette nouvelle interprétation de l'articulation intersomatique pourrait se substituer à la conception classique d'un disque fait d'un annulus fibrosus et d'un nucléus pulposus.
1/ EMBRYOLOGIE
Les différents travaux embryologiques constatent effectivement qu'il y a un reliquat de la notocorde dans le tissu conjonctif qui relie les matrices cartilagineuses des corps vertébraux (24). Ce reliquat de la notocorde qui est encore visible vers la 18ème semaine de la vie foetale est constitué du groupement d'une trentaine de cellules. Ces cellules n'ont pas de pouvoir de multiplication. Elles disparaissent complètement par la suite, dans l'espace conjonctif intersomatique. Cet espace présente un accroissement considérable pour passer de la taille foetale à la taille adulte. Le tissu conjonctif s'organise alors en ligament intervertébral. La croissance de ce ligament intervertébral s'effectue par adjonction de couches périphériques jusqu'à obtenir la taille adulte. C'est ce qui confère au ligament intervertébral l'aspect en bulbe d'oignon.
2/ DONNEES ANATOMIQUES
Avec RABISCHONG (16) (18) dès 1978, on constate qu'il n'y a pas opposition formelle entre les éléments constitutifs du ligament intervertébral. RABISCHONG note "que sa structure hétérogène est faite de deux parties de texture différente mais qui restent en continuité l'une avec l'autre. Nous préférons parler de zone centrale et de zone périphérique plutôt que de nucléus pulposus et d'annulus fibrosus. La zone périphérique est formée... de lamelles fibreuses d'une épaisseur moyenne de 1 mm , séparée chez le sujet jeune par des espaces conjonctifs denses assurant un collage des lamelles. Les fibres sont orientées selon les directions principales des contraintes de compression, traction, torsion et cisaillement. Par ailleurs, la zone centrale sous l'effet des sollicitations mécaniques, se délamine selon les mêmes modalités que celle des espaces conjonctifs soumis à des facteurs mécaniques. Le tissu conjonctif se densifie et une cavité plus ou moins anfractueuse apparaît.
On voit que dans cette conception anatomique, l'idée d'une zone gélatineuse centrale individualisée n'est pas retrouvée. En revanche, RABISCHONG attire l'attention sur la constitution d'une cavité intersomatique par mécanomorphose.
3/ DONNES DE L'IRM
La nouvelle imagerie IRM (12) (16) (20) (21) (26) (fig.1) donne de l'espace intersomatique une image très caractéristique surtout en T2. Cette image est fait d'une zone périphérique noire qui relie l'image des plateaux vertébraux et d'une zone centrale blanche. Cette zone centrale blanche est séparée horizontalement par ligne noire plus ou moins irrégulière qui se termine fréquemment en avant par une tache noire. Les auteurs anglosaxons appellent cette ligne noire "cleft "et la tache noire "dot". Les travaux de SHIWEI (20) montrent que la cleft et la dot correspondent à du tissu conjonctif densifié et à une pliclature des lamelles du ligament intervertébral. Les zones blanches sont réprésentées par un tissu conjoncif très hydraté ou liquidien.
Ainsi l'IRM ne rend pas compte de la conception classique de l'anatomie et en particulier ne donne aucune image satisfaisante d'un "nucléus pulposus".
4/ DONNEES DISCOGRAPHIQUES
Depuis plus de 30 ans, on réalise des discographies en instillant un produit de contraste dans l'espace intersomatique au moyen d'une aiguille positionnée au milieu de cet espace (17) (18). Lorsque l'injection est indolore et "le discogramme" normal (fig. 2), le produit de contraste se répartit en deux cavités aplaties, arrondies, situées de part et d'autre de l'espace à proximité des plateaux. Les auteurs, avec MASSARE (18) décrivent la modification de cet aspect, qui disparait progressivement au profit d'une cavité intersomatique plus étendue (fig.3). Cette cavité intersomatique s'observe bien sur les préparations anatomiques.
5/ DONNEES RADIOCLINIQUES
Il y a une constatation courante que la lombosciatique par conflit discoradiculaire présente une évolution habituellement favorable sauf dans une petite proportion de cas. Les travaux récents (BOZZAO (3), BUSH (4), DIDRY (6), FAGERLUND (7), LAPUYADE (13), MAIGNE (14) (15), SHUNG HSI (25) ) montrent :
- l'absence de corrélation entre la symptomatologie clinique et les images radiographiques (scanner, IRM, saccoradiculographie) (22).
- La régression habituelle des images dans la plupart des cas suivis sans traitement chirurgical (3) (4) (6) (7) (9) (13) (14) (15) (25) (fig. 4).
- Le caractère inflammatoire de la tuméfaction qui est visible dans le canal rachidien qui donne le conflit disco-radiculaire (1) (23) (fig. 5).
- Les avulsions des plateaux vertébraux (2).
- Le caractère fibrocartilagineux des tissus prélevés (9).
On constate également en TDM la cavité intersomatique fréquemment remplie de gaz (fig.3C).
6/ PHYSIOPATHOGENIE DE LA DOULEUR
Avec GROUP (8), on rappelle que la douleur de sciatique présente des origines multiples : la compression n'est qu'un phénomène accessoire.
- En revanche, on doit retenir l'ischémie radiculaire.
- Et surtout la modification des terminaisons sensitives locales par les produits de dégradation métabolique.
NOUVELLE INTERPRETATION
On peut donc considérer que l'articulation intersomatique est une véritable articulation avec des extrêmités osseuses représentées par des plateaux vertébraux, encroûtés de cartilage. Ces extrêmités osseuses sont réunies par un ligament inter-osseux, modification du tissu conjonctif originel. Ce ligament inter osseux est renforcé en périphérie par des "ligaments périphériques". Le ligament inter-osseux se creuse par mécanomorphose de deux cavités proches des plateaux vertébraux qui avec l'évolution se fusionnent par disparition du tissu conjonctif résiduel situé entre les plateaux. Cette interprétation anatomique conduit également à envisager la possibilité d'épanchement intra articulaire, ce qui pourrait être confirmé par les observations de disques trop épais.
De même, on peut dans ces conditions penser que la tuméfaction qu'on observe dans le canal rachidien et qui produit le conflit discoradiculaire repésente la tuméfaction formée sur place, liée à la déchirure ligamentaire, comme on observe ces tuméfactions lors d'une déchirure d'un ligament périphérique (chevilles (fig.6), genoux (fig. 7 et 8). Ceci semble être confirmé par la prise de contraste habituelle de la tuméfaction en imagerie par résonance magnétique. Enfin, cette conception rend mieux compte de certaines constatations difficiles à comprendre telles que les "hernies intradurales" (10) (11).
EN CONCLUSION
La nouvelle conception de la jonction intersomatique comme une articulation périphérique rend mieux compte des constatations anatomiques, d'imagerie et cliniques. Elle pourrait être prise en considération pour l'interprétation des manifestations pathologiques et de la sciatique, avec les conséquences thérapeutiques appropriées.
Bibliographie
INTERPRETATION NOUVELLE DE
L'ARTICULATION INTER-SOMATIQUE VERTEBRALE
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Légende des figures
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L'ARTICULATION INTER-SOMATIQUE VERTEBRALE
FIG. 1A - Imagerie en Résonance Magnétique. Pondération T2. Coupes de 5 mm sagittales médianes. On observe les disques L3 L4, L4 L5 et L5 S1. Noter en L4 L5 la diminution de l'espace inter somatique et l'apparition de la dot "grosse flèche" et de la cleft "petite flèche" (A) IRM, B) schéma).
FIG. 2 - Discographie d'un disque normal : A) évacuation, B) réplétion. Un disque normal continent peut-être rempli ou évacué à volonté en aspirant ou poussant avec la seringue.
FIG. 3 - Discographie d'un disque dégénératif avec cavité intersomatique étendue à la totalité de l'espace. A) évacuation, B) réplétion. L'espace intersomatique demeure continent.
FIG. 3C - Phénomène du vide discal : apparition de gaz dans la cavité inter somatique. Noter dans ce cas, une petite bulle gazeuse dans le canal rachidien témoignant d'une déhiscence de l'anneau fibreux.
FIG. 4 - Lombosciatique S1 régressive sous traitement médical. A) scanner initial : tuméfaction des parties molles (flèche). B) scanner à 6 mois (disparition de la tuméfaction des parties molles.
FIG. 5 - Lombosciatique S1 droite. IRM en coupes axiales T1 passant par l'étage L5 S1. A) avant Gadolinium, B) après Gadolinium. Noter que la tuméfaction des parties molles (flèche) visible, avant Gadolinium s'éclaire totalement, après Gadolinium avec réapparition de l'image de la racine.
FIG. 6 - Schéma d'une articulation de chevillle. A) normale, B) avec entorse de cheville et tuméfaction des parties molles.
FIG. 7 - Entorse du ligament latéral interne du genou. A) imagerie T1, tuméfaction des parties molles en regard du ligament latéral interne. B) imagerie T2.
FIG. 8 - Articulation intersomatique : A) interprétation nouvelle de l'anatomie normale, B) anatomie pathologique. La tuméfaction des parties molles qui entraîne le conflit discoradiculaire, se produit par oedème, et débris tissulaires des déchirures ligamentaires présents localement. Ceci explique de façon satisfaisante les images radiologiques sans qu'on fasse appel à une éventuelle migration.
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